Pédagogie Steiner, une pédagogie de la maturation ?

Dans des temps pas si éloignés, on découpait la jeunesse comme suit : le temps de jouer, le temps d’aller à l’école et le temps d’apprentissage d’un métier.

De nos jours, ce découpage tend à disparaitre. Les apprentissages se font à l’école de plus en plus précocement, à 3 ans les enfants rejoignent les bancs de l’école et y appréhendent déjà des apprentissages formels : aussitôt compter, lire, manipuler des outils numériques…

Steiner nous dit que tout ce qui habite l’esprit de l’homme finit par se répercuter dans ses organes. Cette accélération de nos vies se répercute, on le voit, chez nos enfants : des fillettes réglées de plus en plus tôt, ou encore des dents qui tombent précocement. Parallèlement à cela, en école Waldorf, nos enfants jouent jusqu’à l’entrée en élémentaire, et apprennent à lire plus tard que dans le public… pourquoi un tel décalage ? Est-ce encore dans l’ère du temps de prendre son temps ?

Nous allons tenter d’expliquer ici brièvement les fondements sur lesquels se fondent notre pédagogie et dont découle les choix pédagogiques.

A l’instar des temps plus anciens, dans la pédagogie Steiner-Waldorf, nous découpons aussi l’existence de l’enfant en 3 phases. Steiner parle de « septaines » et pour le temps de l’enfance, il y en a 3 : la période de 0 à 7 ans, celle de 7 à 14 ans et enfin celle de 14 à 21 ans.

Lors de la première septaine, on observe aisément que l’enfant est un être de mouvement. Sa volonté toute entière est tournée vers son désir d’explorer le monde qui l’entoure. Son besoin de mouvement nous montre les forces de vie à l’œuvre dans son corps physique. D’après Steiner, ces forces de vie sont des forces modelantes : elles accompagnent la formation du squelette, des organes, des nerfs…. tous les constituants du corps physique. C’est dans l’alternance entre veille et sommeil que ces forces travaillent à la constitution du corps physique. Mais c’est aussi par son activité physique, dans son mouvement spontané, que l’enfant prend peu à peu conscience de son schéma corporel. Steiner nous dit que la force de volonté qui peut s’exprimer dans son libre mouvement se traduira à l’âge adulte en volonté de penser, en force de décision, en autodétermination.

Rappelons aussi que l’enfant tout entier entre 3 et 6 ans est « organe des sens », c’est à dire que l’enfant ne prend pas de distance avec ce qu’il perçoit, il est ses perceptions. Ainsi au jardin d’enfants, un soin particulier est porté aux perceptions sensorielles de l’enfant. Les matières nobles et naturelles, l’odeur de la cire d’abeille, du pain dans le four, de la compote qui mijote, la douceur et la rondeur de la jardinière… tout ça crée chez l’enfant un sentiment de sécurité, de bien-être, de confiance envers son environnement, autrement dit le socle de sa confiance en soi et de l’expression de son être en devenir. Lors de cette première septaine, l’enfant doit ressentir profondément en lui que le monde est bon. Un corps physique mature, stabilisé dans la joie et l’envie de grandir est le préalable à tout apprentissage formel.

Jusqu’alors, les forces à l’oeuvre agissaient sur la constitution physique de l’enfant, et dès le changement de dents et l’entrée dans la deuxième septaine, ces forces se libèrent et deviennent disponibles pour cultiver la pensée (représentation et mémoire) permettant à l’enfant d’entrer dans les apprentissages formels et structurés, tels que la lecture, le calcul, l’écriture… Toutefois, Steiner met en garde contre tout enseignement trop intellectualiste et trop conceptuel qui ne s’adresserait qu’à la tête de l’enfant. Steiner nous indique qu’à cet âge, c’est au coeur de l’enfant que l’enseignant doit s’adresser. L’apprentissage de l’enfant doit se faire dans l’enthousiasme de l’expérience où le vécu affectif est fort, l’enseignant utilise l’image qui « parle » aux sentiments de l’enfant et lui confère des représentations accessibles. Par exemple, plutôt que d’exiger le silence pour la rentrée en classe, le professeur peut demander aux enfants de revêtir leurs « chaussons de velours », ou bien pour aller s’asseoir sans bruit à son bureau, le professeur peut dire que les « petites souris rejoignent leur nid sans bruit». Il en va de même avec les apprentissages, les lettres, les nombres, la géométrie… tout cela est abordé à travers des images qui permettent à l’enfant de se lier avec ses sentiments à ce qu’il apprend. Non seulement la compréhension en est facilitée mais la mémorisation en est soutenue. En effet, les souvenirs que nous avons gardé de notre enfance sont ceux qui nous ont laissé une impression, un sentiment fort. Bien sûr, l’image proposée par l’éducateur doit être de qualité pour toucher la sensibilité du coeur de l’enfant de manière positive.

Comme nous venons de le voir, il y a les images que les enfants se représentent intérieurement mais il y a aussi l’image visuelle de l’environnement de l’enfant qui s’offre à lui chaque jour et c’est là que l’art et l’esthétique sont un autre élément clé de cette septaine. L’art et la beauté s’adressent directement au coeur de l’enfant. Ainsi ce qui lui est enseigné est toujours présenté de manière artistique. Les dessins au tableau sont beaux, le travail dans le cahier est beau, les mots sont beaux, les gestes sont beaux… L’enfant doit sentir que le monde est beau, c’est cela qui lui donne envie de s’élever, de se lier au monde que lui présente son professeur. La beauté est très exigeante pour l’enfant car elle lui demande de la précision, de l’application, de l’attention. Faire de la beauté une exigence quotidienne est porteur pour la vie entière de l’enfant car cela l’habitue à se saisir intérieurement pour sortir le meilleur de lui-même.

Autour de la 14ème année, c’est la troisième phase de l’enfance qui démarre et qui va s’étendre jusqu’aux 21 ans de l’enfant.

Avec la puberté qui se profile, la vie des sentiments apparait avec tous leurs contrastes (joie, peine, sympathie, antipathie, etc.) et cela provoque comme un chaos intérieur. Ce développement  du corps psychique génère une vie émotionnelle qui envahit le corps. Le monde intérieur s’ouvre. Pour dompter ce déferlement, l’adolescent a besoin de faire l’expérience de la pensée rationnelle, logique, conceptuelle, il s’agit à présent de s’adresser à la tête de l’enfant, nous dirait Steiner. La pédagogie accompagne cette phase en permettant aux jeunes de cultiver une pensé vivante par l’observation et l’expérimentation vraie et concrète. Le jeune veut rencontrer le monde et les adultes dans leur vérité et dans leur authenticité. Dans cette dynamique, les événements, les questionnements, les rencontres vraies font naitre l’idéal pour une cause, voire même une vocation, une affirmation de convictions fortes… Alors le monde est vrai et c’est ainsi qu’il doit apparaître à l’enfant pour son développement « optimal ».

Un monde bon, un monde beau et un monde vrai, voilà ce que nous devons offrir à nos enfants pour entrer riche intérieurement, stable et solide dans le monde adulte. Et cela doit se vivre pleinement, en vivant chaque étape sans empressement. Il est important pour chaque âge de ne pas brûler les étapes  car on peut rattraper un retard, mais on revient difficilement en arrière si l’on est allé trop vite.